18 mai 2021 / Fonction publique

Présentation de la réforme de l’encadrement supérieur de l’État au Conseil d’administration de l’ENA du 5 mai 2021

Article

Présentation de la réforme de l’encadrement supérieur de l’État au Conseil d’administration de l’ENA du 5 mai 2021

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,

Monsieur le directeur,

Mesdames et  messieurs les membres du conseil d’administration,

Je me réjouis d’être avec vous aujourd’hui pour ce conseil d’administration extraordinaire afin de vous présenter la réforme que le Président de la République a annoncée le 8 avril dernier, en insistant en particulier sur l’avenir de l’École.  

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je tiens à remercier le directeur, M. Patrick GERARD, ainsi que l’ensemble des personnels de l’ENA qui sont ici représentés, pour votre investissement depuis le début de la crise sanitaire qui a permis que les concours de l’ENA se déroulent dans les meilleures conditions et surtout que la scolarité des trois promotions, qui se sont succédées en 2020 et 2021, soit la plus fructueuse possible pour les élèves qui se préparent à rejoindre l’administration.

Je tiens également à saluer à nouveau le travail qui a été conduit depuis 2017 par Patrick GERARD, avec le soutien des membres du conseil d’administration, pour réformer l’École. Vous avez mis dans l’ENA toutes vos convictions, à commencer par celles qui concernent le rapprochement avec le monde de la recherche – je pense au concours « docteurs », au lancement d’une réflexion sur la possibilité d’offrir un doctorat – des réflexions que, je veux vous le dire sans attendre, le gouvernement souhaitera poursuivre et amplifier. Dans le même temps, vous avez œuvré à l’assainissement des finances de l’École dans un contexte budgétaire que je sais contraint, à la réorganisation de son administration, dans une situation qui était initialement très dégradée. Les redressements que vous avez opérés permettent aujourd’hui à l’établissement d’avoir des bases saines sur lesquelles construire un projet ambitieux de transformation. Au nom du Gouvernement, je souhaite donc vous en remercier.

Ce nouveau projet, vous le savez, c’est celui du futur Institut du service public dont le Président de la République a souhaité qu’il puisse prendre le relais de l’École nationale d’administration à partir du 1er janvier 2022.

J’ai entendu les critiques qui ont pu être formulées à l’annonce de ce changement, y compris parmi ceux qui siègent dans ce conseil d’administration : ces critiques, permettez-moi de vous dire, je les prends comme une marque, légitime, de votre attachement non seulement à l’ENA elle-même, mais plus largement à ce qu’elle signifie et a pu signifier au service de l’État et au service de nos concitoyens.

Car tel est bien, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, ce qui se joue dans la réforme que je porte et que le Président de la République a annoncée : le rôle des femmes et des hommes qui mettent leur énergie au service de l’État et de nos concitoyens, et dont je veux, en tant que Ministre à la fois de la transformation publique et de la fonction publique, saluer l’implication, la mobilisation dans la crise, mais aussi améliorer les conditions d’action.

Aujourd’hui, notre pays traverse une crise multiforme, la plus grave sûrement qu’il ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette crise a mis en lumière certaines faiblesses de notre État, mais elle a aussi révélé ses forces qu’il nous importe de préserver.

Cette crise met surtout en lumière les attentes de nos concitoyens. Ces attentes, et je le constate au quotidien, sont celles de services publics plus proches, plus efficaces, plus agiles. 

C’est pour cela que notre fonction publique et notamment notre haute fonction publique doit se transformer. 

La réforme que je viens vous présenter aujourd’hui s’inscrit pleinement dans la politique de transformation de la fonction publique conduite par le Gouvernement depuis 2017, et dans la continuité notamment du programme « Talents du service public » annoncé par le Président de la République en février dernier, en vue de redonner à notre fonction publique sa dimension de symbole qu’elle a été durant près d’un siècle : un élément fondateur de notre ascenseur social républicain, un lieu de sens et de service de l’intérêt général. Je sais que vous avez tous ici accompagné ce mouvement et je vous en remercie. Il nous incombe de faire vivre concrètement cette promesse républicaine.

Après cette première étape, nous nous attachons désormais à la transformation de la formation et des carrières dans l’encadrement supérieur de la fonction publique, annoncée par le Président de la République et concrétisée dans le projet d’ordonnance qui doit être adopté par le Conseil des ministres avant le 7 juin prochain.

Cette transformation doit permettre :

D’une part, une dynamisation des carrières, en offrant à tous les cadres supérieurs davantage de possibilités de perspectives, de mobilité, de respiration, d’accompagnement.

D’autre part, de donner davantage encore de place à la formation, initiale comme continue, dans les carrières de l’encadrement de la fonction publique.

Lutter contre les silos administratifs pour développer des parcours de carrière plus dynamiques et plus orientés au service de nos concitoyens, cet objectif avait déjà présidé à la création de l’ENA en 1945, et chacun sait combien cette création avait, à l’époque, suscité de réticences, parmi les « grands corps » comme dans les ministères.

La conviction qui m’anime est que cet esprit de 1945 doit aujourd’hui être préservé mais actualisé. Dans cette optique, nous souhaitons ainsi :

  • réarmer nos territoires comme le Premier ministre l’a indiqué dans sa déclaration de politique générale en remettant des cadres supérieurs partout sur le territoire,
  • que nos cadres supérieurs connaissent mieux nos administrations avant d’exercer des fonctions de contrôle, d’inspection et juridictionnelles, dans un objectif de consolidation de notre modèle de dualité de juridictions et,
  • valoriser les fonctions opérationnelles dans la construction des parcours de carrière, qu’elles soient exercées en services déconcentrés, au sein des opérateurs de l’État ou en administration centrale. 

Ces orientations nécessitent un accompagnement renforcé de nos cadres supérieurs, qui passe par différents outils inscrits dans le projet d’ordonnance ou prévus dans le cadre de la réforme :

  • la création des lignes directrices de gestion interministérielles qui visent à mettre en place une réelle logique RH et de gestion de nos cadres supérieurs ;
  • le développement d’évaluations, extérieures à la chaîne hiérarchique et réalisées à des étapes clés de la carrière, par exemple à 5, 12, 25 ans de carrière afin d’accompagner l’agent dans son orientation et de lui proposer un parcours de formation ou encore, s’il le souhaite, de l’accompagner dans une transition professionnelle ;
  • la valorisation de la mobilité, entre directions, entre ministères, avec les autres versants de la fonction publique et, le cas échéant, avec le secteur privé dans le respect des règles déontologiques ; cette mobilité, elle doit être fonctionnelle, mais le Gouvernement souhaite aussi valoriser les mobilités géographiques, en particulier sur les territoires, au service des projets qui ont le plus d’impact sur nos concitoyens – pour autant, il n’y aura pas de mobilité géographique imposée à qui que ce soit ; vous le savez je suis attachée à ce que la haute fonction publique reste attractive, en particulier pour les profils féminins pour lesquels nos objectifs d’égalité professionnelle visent à leur permettre d’accéder aux responsabilités ;
  • le renforcement de l’accompagnement personnalisé de tous les cadres supérieurs de l’État, grâce au rôle pivot que jouera la Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’Etat (DIESE) dans une logique de suivi individuel, qui fait – comme chacun le sait – souvent défaut ;
  • le développement, enfin, d’une culture de la formation tout au long de la vie, pour adapter en permanence les compétences de nos hauts-fonctionnaires aux besoins de nos concitoyens et à l’évolution du monde qui nous entoure.

Ces principes s’appliqueront à tous en ayant le souci également, car j’y suis attentive, de prendre en compte l’expérience acquise par nos hauts fonctionnaire issus notamment des concours internes et 3ème concours. Cette expérience professionnelle est à valoriser et je suis attachée au maintien de la promotion interne, tout comme je l’ai indiqué à la prise en compte des contraintes liées notamment à l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée et familiale de nos hauts fonctionnaires.

Les différents outils que j’ai présenté ont ainsi vocation à concerner l’ensemble de l’encadrement supérieur de l’État, quelles que soient ses origines et sa formation ; mais je souhaite tout particulièrement qu’ils soient beaucoup plus fortement mobilisés au bénéfice de celles et ceux qui constituent l’armature administrative de l’État et sont trop souvent mal reconnus.

Là aussi, vous le savez, c’est une des intuitions fondatrices de 1945 que celle de la création d’un corps des administrateurs civils ; et là aussi, cette intuition, nous souhaitons l’actualiser, la rendre effective et l’étendre, en créant un corps socle, celui des administrateurs de l’État, qui aura vocation à constituer le support plus large d’emplois aujourd’hui trop souvent réservés sans nécessité à certains corps. Une réflexion va s’engager sur le statut, les conditions de rémunération, le périmètre de ce corps, en lien avec l’ensemble des ministères concernés.

Je veux vous le dire avec force : dynamiser les parcours de carrière, respirer grâce à des mobilités, accompagner, former : ces possibilités doivent concerner tous nos hauts-fonctionnaires La réforme doit s’appliquer à tous, y compris à ce qu’on appelle les « grands corps », dans le respect bien sûr de l’équilibre institutionnel de notre pays et donc de la nécessité de garantir l’indépendance et l’impartialité des juridictions administratives et financières, indépendance et impartialité auxquelles je suis, comme vous tous ici, attachée comme à des garanties essentielles de notre État de droit.

J’ai pu entendre dire certains que le gouvernement voulait remettre en cause l’indépendance de nos institutions ou généraliser une forme de « spoil system ». Ce sont des accusations graves qui alimentent les populismes et que je réfute vigoureusement et solennellement devant vous :

  • nous ne remettons aucunement en cause l’indépendance des juridictions, nous consolidons la dualité de juridictions ;
  • nous ne remettons aucunement en cause l’indépendance des inspections placées sous l’autorité des ministres, nous consolidons leur indépendance dans la loi ;
  • nous n’instituons nullement un spoil system à la française, nous préservons et adaptons le statut de la fonction publique, là où certains – les mêmes d’ailleurs qui s’épanchent dans les gazettes sur la suppression de l’ENA – plaident pour une contractualisation complète de la haute fonction publique.

Dans le respect de ces principes, l’ordonnance que je porte a vocation à transposer les principes d’ensemble que j’ai évoqués aux corps juridictionnels, d’inspection et de contrôle.

Ainsi, l’accès direct aux grands corps sera supprimé à compter de 2023. Concrètement, pour accéder au Conseil d’État comme à la Cour des comptes, il faudra avoir occupé au moins un poste opérationnel avant de pouvoir postuler pour un emploi au sein des institutions, puis pour candidater à l’intégration dans le corps. La condition d’avoir exercé sur le terrain avant de juger s’appliquera également aux magistrats de TA et de CRC recrutés à l’issue de l’ISP, comme, bien entendu, aux inspections générales.

D’ici à 2023, comme j’ai eu l’occasion de l’écrire aux promotions actuellement en scolarité, un régime transitoire sera aménagé avec, d’une part la réduction progressive des sorties dans les grands corps, et d’autre part, l’ouverture dès 2022 et de façon anticipée par rapport au reste de la réforme de la possibilité de rejoindre ces institutions sur emploi à l’issue d’au moins deux années d’expérience professionnelle.

        1. Donner davantage de place à la formation

En amont de cette dynamisation des parcours de carrière, la transformation de la haute fonction publique inclut celle de la formation initiale et continue de nos cadres supérieurs qui passe, comme le Président de la République l’a annoncé, par la création de l’Institut du service public.

Cette création, je tiens à vous le dire, ne renie rien de ce que l’ENA a apporté à notre pays, ne dévalorise nullement les serviteurs de l’intérêt général qu’elle a formés, tant en France qu’à l’international. A nouveau, ici, elle vise à actualiser le projet qui a été celui de la création de l’ENA en 1945, en consolidant et en élargissant ses missions.

Bien entendu, l’ISP assurera la formation initiale des élèves stagiaires qui seront les lauréats des concours d’accès et qui destineront plus particulièrement au corps des administrateurs de l’État, qui va être créé en même temps que l’Institut le 1er janvier 2022. Ce corps des administrateurs de l’État sera le corps socle, l’armature essentielle de l’État, allant bien au-delà du seul corps des administrateurs civils ; l’envergure de ce corps devra, bien entendu, rétroagir sur les modalités de recrutement et sur la formation des cadres concernés.

En outre, l’ISP proposera un tronc commun aux écoles d’encadrement supérieur afin de donner une culture commune, mais aussi une culture du travail en commun, à chacun. L’école participe déjà à la création de ce tronc commun en lien avec les autres écoles de service public et les écoles d’application de l’X, en particulier sur la thématique des principes et valeurs de la République. Ce travail doit être approfondi dans les prochaines semaines pour qu’une première version de ce tronc commun soit disponible début 2022. Je souhaite, et je le dis devant vous, que ce rôle de portage du tronc commun des écoles de service public apparaisse dans l’article de l’ordonnance concernant l’ISP, ce qui n’est pas le cas dans le texte qui vous a été transmis à ce stade : j’ai donc demandé à la DGAFP de porter ce point dans ses discussions avec le Conseil d’État.

Je souhaite surtout que l’ISP se positionne davantage sur la formation continue, pour accomplir là aussi le projet initial de l’ENA qu’était le Centre des hautes études administratives imaginé par Michel Debré. Le paysage de la formation continue au sein de l’État est aujourd’hui éclaté, avec un rôle central des programmes opérés par les ministères ; globalement, la culture de la formation continue reste très insuffisante au sein de l’État aujourd’hui, notamment pour l’encadrement supérieur. La mission de préfiguration devra avoir pour objectif de placer l’Institut du service public d’être en première ligne pour offrir des  formations et des programmes d’excellence destinés à accompagner le parcours professionnels des cadres supérieurs de l’Etat, pour que l’ISP devienne la « maison commune » où l’on se rend plusieurs fois dans sa carrière. Nos cadres supérieurs pourront ainsi bâtir des parcours de carrière adaptés à leurs aspirations et à leurs compétences.

Dans ce cadre de formation continue, l’institut devra notamment intégrer l’équivalent d’une « école de Guerre » afin de former les talents ayant vocation à accéder aux emplois dirigeants de l’État. Il s’agit ainsi d’assurer une formation continue d’excellence pour les viviers de talents issus des trois versants de la fonction publique, de la magistrature et du secteur privé afin de leur permettre d’acquérir les compétences et l’ouverture d’esprit attendues d’un cadre dirigeant de l’Etat, qui est actuellement élaboré et mis en œuvre par la mission cadres dirigeants, que dirige Mme Florence MÉAUX, que je remercie. Mon ambition est de nous appuyer sur le cycle des hautes études du service public, qui sera effectif prochainement.

Je souhaite, enfin, que cet institut renforce ses liens avec la recherche et le monde académique au niveau national et international. Le Président de la République a ainsi évoqué le fait que l’institut soit doté d’un corps d’enseignant permanent et qu’il permette, en lien avec l’université, la délivrance de diplômes à ses élèves. 

Grâce à l’ensemble de ses missions, l’Institut assurera une formation d’excellence, initiale et continue, sera plus ancré dans le monde de la recherche et renforcera le rayonnement de la France et de ses cadres supérieurs en France et à l’étranger. 

Une mission de préfiguration sera mise sur pied dans les prochaines semaines pour concevoir cet « Institut du service public ». Je souhaite que la réflexion soit la plus ouverte possible et qu’elle puisse bénéficier de toutes les contributions.

Pour assurer ces missions plus larges, je veillerai à ce que l’institut soit doté des moyens nécessaires, qu’ils soient humains ou financiers. L’équipe de préfiguration qui sera mise en place dans les prochaines semaines précisera quels sont les besoins en ce domaine.

Mesdames, Messieurs, la réforme que je vous présente ce jour et qui se déploiera, dans les mois qui viennent, à travers un important chantier réglementaire, j’ai la conviction qu’elle est une chance. Une chance pour les candidats à l’accès à la haute fonction publique ;  une chance pour les fonctionnaires en formation, qu’ils soient français ou internationaux ; une chance pour nos cadres supérieurs et pour nos administrations ; une chance, donc, pour nos concitoyens au service desquels tous œuvrent sans relâche, et avec une énergie et une intelligence que je veux, à nouveau, saluer devant vous.

Je vous remercie.

Amélie de Montchalin

 

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